C’est du reste ce que le sens commun comprend très bien quand il dit que le rentier doit « se rendre utile ». S’il ne sert à rien, les économistes auront beau démontrer qu’il a fourni en bonne monnaie le juste équivalent de tout ce qu’il a mangé, il subira le sort des parasites et sera éliminé.
Nul doute aussi que de toutes les professions celle de rentier ne soit celle dont il est le plus facile et le plus ordinaire d’abuser. Cependant, à prendre les choses de haut, ce n’en est pas moins une fonction sociale dans le vrai sens de ce mot. La preuve c’est que dans les sociétés primitives et antiques, où l’oisiveté se présentait sous un jour particulièrement odieux, puisqu’elle reposait uniquement sur la force, le vol et l’esclavage, là même, l’existence d’une classe d’oisifs apparaît comme la condition indispensable de la naissance de la civilisation, des arts, de la science, de la littérature, de la politique. Il en est de même aujourd’hui. Et les services que la société est en droit de demander à l’oisif rentier sont précisément ceux que nul autre ne peut rendre, parce qu’ils sont de leur nature gratuits et qu’ils supposent les loisirs et l’indépendance. Pour gérer convenablement certains intérêts sociaux, pour démêler les fils subtils de la politique et de la diplomatie, pour tenir les rênes du gouvernement, pour porter dignement le sceptre du goût dans le royaume des lettres et des arts, il faut des mains délicates que le travail n’ait pas endurcies et des intelligences sur lesquelles ne pèsent point les préoccupations d’une tâche à remplir et du pain quotidien à gagner. Il ne suffit pas, pour remplir ces hautes fonctions, de quelques heures dérobées à l’atelier ou au bureau, ni même d’hommes qui, comme dans la cité socialiste de Bellamy, seront libérés du travail obligatoire vers l’âge de 45 ans.
Le mot d’oisiveté ne doit pas être pris en mauvaise part : dans son origine étymologique, otium, disons le loisir, il désigne au contraire quelque chose de très noble, la faculté de consacrer son temps aux travaux qui par leur nature ne peuvent être lucratifs. En ce sens le loisir représente non la paresse, mais un mode de division du travail qui doit être