Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/488

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règle que qui ne risque rien ne gagne rien ; l’autre ne peut rien risquer n’ayant rien à perdre. Nous verrons plus loin en parlant de la participation aux bénéfices, dans quelle mesure on peut essayer de résoudre ces difficultés.

Mais voici d’autre part les inconvénients qui, à notre avis, l’emportent de beaucoup sur les avantages :

1° Par ce mode de rémunération, le travail, c’est-à-dire le travailleur, car il est impossible en fait de séparer l’un de l’autre, est assimilé à une marchandise et comme telle subit sur le marché toutes les lois naturelles, mais amorales aussi, qui règlent la valeur des marchandises. C’est en ce sens qu’on a pu dire (c’est même Chateaubriand qui l’a dit d’abord !) que le salariat était une survivance de l’esclavage et de la traite où l’homme aussi était assimilé à une chose dans le commerce. — N’en est-il pas de même du propriétaire et du capitaliste, dira-t-on ? Eux aussi, pour leur revenu, intérêt ou rente, ne subissent-ils pas la loi de l’offre et de la demande ? Sans doute, mais aussi eux n’apportent sur le marché que leurs biens et non leurs personnes. Ce n’est pas ici une question de vanité, mais une question de justice. Celui qui échange sa personne contre de l’argent ne sera jamais dans les mêmes conditions que celui qui échange une marchandise contre de l’argent[1].

2° Le contrat de salaire est ce qu’on appelle dans la langue du droit un contrat à forfait, c’est-à-dire un contrat par lequel l’ouvrier se désintéresse de tout droit sur le produit de son travail moyennant une somme fixe que l’entrepreneur s’engage à lui payer par semaine ou par mois[2].

  1. N’est-ce pas le cas pourtant, dira-t-on, de ceux qui exercent les professions libérales les plus hautes, celles de l’art ou de la science ? Non : on ne peut pas dire que les honoraires d’un chirurgien illustre ou d’un ténor sont par l’offre et la demande : s’il en était ainsi, les services des médecins, avocats, acteurs, seraient à bon marché à Paris, car il n’en manque pas sur le marché !
  2. Et en effet, le contrat de salaire étant donné, on ne voit pas d’autre moyen de déterminer la part qui doit revenir à chacune des deux parties, le capital et le travail, sinon un forfait. Il en serait autrement si l’on pouvait trouver un moyen rationnel de déterminer la part de chacun d’eux. Le problème se pose en ces termes : Étant donnés deux facteurs, dont l’un est le travail manuel seul et l’autre le capital seul, qu’on fait