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mistes, Turgot (Mémoire sur les prêts d’argent, 1769) et Bentham (Lettres sur l’usure, 1787), pour voir la doctrine économique s’affirmer en faveur du prêt à intérêt.

À partir de cette date, tous les économistes sont unanimes. Et cette fois ils ont raison. Pourquoi ? Parce que les choses avaient changé de face.

D’une part les rôles se sont intervertis. Aujourd’hui ce ne sont plus les besogneux qui empruntent aux riches, les plébéiens aux patriciens : — ce sont au contraire les riches, les puissants, les spéculateurs, les grandes compagnies, les Rothschilds, les propriétaires de mines d’or, les grands États surtout, qui empruntent au public, aux petites gens, qui puisent dans l’épargne populaire, dans le bas de laine du paysan. Et il en résulte ceci c’est que ce n’est plus l’emprunteur dont le sort est pitoyable mais plutôt le prêteur. Ce n’est plus l’emprunteur faible et désarmé dont l’opinion publique et la loi doivent prendre la défense contre la rapacité du préteur, c’est le préteur ignorant que la loi et l’opinion publique doivent protéger contre l’exploitation des gros emprunteurs privés ou publics dont l’histoire financière de notre temps offre maints scandaleux exemples.

D’autre part, et ces deux changements sont concomitants, la nature même du contrat de prêt a changé. Généralement aujourd’hui on n’emprunte plus pour avoir de quoi manger, mais pour faire fortune aujourd’hui le prêt de consommation est devenu l’exception et le prêt a pris son véritable caractère, son caractère économique, celui d’un mode de production[1].

  1. Il faut noter toutefois une grande et déplorable exception en ce qui concerne le crédit public qui, depuis un siècle, a englouti dans des consommations, pour la plus grande part improductives et même destructrices, 150 milliards de capitaux dont les malheureux contribuables auront à payer l’intérêt à perpétuité ou du moins jusqu’au jour de la banqueroute finale. — Même dans le crédit privé les formes déplorables et ruineuses du prêt de consommation n’ont pas entièrement disparu. Elles ont été conservées par les fils de famine qui souscrivent des billets, par les pauvres gens qui achètent à crédit chez les détaillants, par les paysans de Russie, d’Orient, d’Algérie, qui empruntent aux usuriers et se font exproprier. C’est de là qu’est né ce mouvement qu’on appelle l’anti-sémitisme et c’est pour cette raison que les vieilles lois contre l’usure peuvent être encore parfaitement de saison dans certains pays et sous certaines conditions.