Page:Gide - Principes d’économie politique.djvu/533

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vacantes pour s’établir comme propriétaire, on ne trouvera aucun fermier qui consente donner plus que l’intérêt du capital engagé dans la terre. Là au contraire où la population est très dense, la terre toute occupée et la richesse uniquement agricole, comme en Kabylie ou en Irlande, le taux du fermage s’élèvera au point de ne plus laisser au fermier que le strict nécessaire pour vivre misérablement[1].

Le fermage est un mode de revenu qui, bien que consacré par des titres vénérables, nous paraît anti-social comme le salaire du reste et nous pensons que comme celui-ci il est destiné à disparaître ou tout au moins à se transformer en contrat d’association.

Notre premier grief contre le fermage, c’est qu’il compromet la propriété foncière en lui enlevant le principal argument qu’on peut faire valoir en sa faveur. Nous avons vu en effet que si la propriété foncière existe, ce n’est pas en vertu d’une sorte de droit divin, mais parce qu’elle a été reconnue comme le mode d’exploitation du sol le plus productif, le plus conforme à l’intérêt général. On présume que nul ne saura mieux tirer parti de la terre que le propriétaire individuel. Bien ! mais que devient cette présomption quand on voit, comme dans le cas de bail à ferme, le propriétaire se décharger sur un délégué du soin de cultiver la terre pour aller dans une grande ville ou à l’étranger manger ses rentes ?

Il semble que le propriétaire s’acquitte bien mal de cette mission sociale qui lui a été confiée quand, au lieu d’exploiter le sol, il s’en fait un instrument de lucre et un moyen de vivre sans rien faire. Il paraît difficile d’admettre que la terre ait été distribuée à certains hommes à seule fin de leur procurer un revenu, fruges consumere nati, comme ces bénéfices

  1. En Kabylie le fermier, qui s’appelle Khammés, ne garde pour lui que le 1/5 de la récolte ! En Irlande, on sait que l’élévation du taux des fermages a été tel qu’une partie de la population a péri de misère, qu’une autre a dû émigrer, que ce qui reste est l’état d’insurrection permanente et que depuis 1881 toute une législation agraire a dû être promulguée à seule fin de ramener le fermage des conditions humaines.