Page:Gide - Si le grain ne meurt, 1924.djvu/18

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n’empêche qu’en ce temps je restais vis-à-vis d’elle dans un état d’insubordination fréquente et de continuelle discussion, tandis que, sur un mot, mon père eût obtenu de moi tout ce qu’il eût voulu. Je crois qu’il cédait au besoin de son cœur plutôt qu’il ne suivait une méthode, lorsqu’il ne proposait à mon amusement ou à mon admiration rien qu’il ne pût aimer ou admirer lui-même. La littérature enfantine française ne présentait alors guère que des inepties, et je pense qu’il eût souffert s’il avait vu entre mes mains tel livre qu’on y mit plus tard, de Madame de Ségur par exemple — où je pris, je l’avoue, et comme à peu près tous les enfants de ma génération, un plaisir assez vif, mais stupide — un plaisir non plus vif heureusement que celui que j’avais pris d’abord à écouter mon père me lire des scènes de Molière, des passages de l’Odyssée, la farce de Pathelin, les aventures de Sindbad ou celles d’Ali-Baba et quelques bouffonneries de la Comédie Italienne, telles qu’elles sont rapportées dans les Masques de Maurice Sand, livre où j’admirais aussi les figures d’Arlequin, de Colombine, de Polichinelle