Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/23

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rompu et qui finit par bredouiller ; le jury, qu’il ne parvient pas à intéresser, renonce à l’écouter.

Son système pourtant se tient d’autant mieux qu’il est peu vraisemblable qu’un aigrefin aussi habile que semble être Arthur, ait laissé derrière lui — que dis-je ? créé, le soir d’un crime, une telle pièce à conviction ? De plus, s’il était au Havre lui-même, quel besoin avait-il d’écrire à sa maîtresse, au Havre, quand il pouvait aussi bien aller la trouver ?

Je sais que les jurés ont droit, sans précisément intervenir dans les débats, de s’adresser au Président pour le prier de poser aux accusés ou aux témoins telle question qu’ils jugent propre à éclairer les débats ou leur conviction personnelle, que toutefois ils ne doivent point laisser paraître… Vais-je oser user de ce droit ?… On n’imagine pas ce que c’est troublant, de se lever et de prendre la parole devant la Cour… S’il me faut jamais « déposer », certainement je perdrai contenance : et que serait-ce sur le banc des prévenus ! Les débats vont être clos ; il ne reste plus qu’un instant. Je fais appel à tout mon courage, sentant bien que, si je ne triomphe pas de ma timidité cette fois-ci, c’en sera fait pour toute la durée de la session — et d’une voix trébuchante :

— Monsieur le Président pourrait-il demander à l’employé de la poste qui était tout à l’heure à la barre, si le timbrage du départ est toujours différent de celui de l’arrivée ?

Car enfin, s’il était possible de reconnaître que le timbre