Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/25

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d’Arthur, que moi-même je n’ai suivie qu’avec beaucoup de peine. Il a une sale tête, un physique ingrat, une voix déplaisante ; il n’a pas su se faire écouter. L’opinion est faite, et quand bien même on viendrait à découvrir à présent que la carte n’est pas de lui…

— Les débats sont clos.

Un peu plus tard, dans la salle de délibération.

Les jurés sont unanimes ; résolument tournés contre les deux accusés sans nuancer ni consentir à distinguer l’un de l’autre : aigrefins à n’en pas douter et malandrins en espérance, qui n’attendent qu’une occassion pour jouer du revolver ou du casse-tête (trop distingués pour user du couteau, peut-être). Néanmoins, pour les deux vols, desquels ils avaient à répondre, on n’était point parvenu à prouver leur culpabilité mieux que par quelques rapprochements — qu’eux traitaient de coïncidences ; et dans le réquisitoire, rien d’absolument décisif n’emportait la conviction des jurés. Coupables à n’en pas douter, mais peut-être pas précisément de ces crimes. Etait-il vraisemblable, admissible même, qu’Alphonse, à Trouville où il était fort connu, dans la rue de Paris si fréquentée, et à une heure point tardive, ait pu, sans être remarqué de personne, trimballer un ballot énorme qu’on estime avoir eu un mètre de large et deux de haut ! — Il s’agit ici du premier vol, celui des fourrures.

Enfin, pour aigrefins qu’ils fussent, ce n’étaient tout de