Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/53

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venait jamais aucun homme et que la fille n’a pu voir que le mari de la patronne, âgé de 75 ans, ou que le fils, âgé de trente-deux ans, à l’une de ses rares et rapides apparitions. La vieille nous apprend également qu’il fallait passer par sa chambre pour entrer dans celle de la servante, — ceci dit comme pour bien montrer que ça ne peut pas être son fils qui… etc…

Et le Président visiblement désireux de ne pas laisser dévier l’affaire et de limiter l’accusation, passe outre.

La déposition du docteur ne nous apprend rien de nouveau ; il explique très longuement que l’enfant a vécu, de sorte qu’on se trouve en présence d’un cas, non d’avortement, mais d’infanticide ; pourtant le coup de ciseaux, légèrement donné et comme avec précaution, était plutôt pour s’assurer que l’enfant était mort ; mais il a respiré car, dans la cuvette d’eau où il l’a mise, la masse pulmonaire flottait.

Tandis que le jury délibère, une rumeur circule dans la salle : le fils de la patronne est dans la salle ; on se le montre, assis à côté d’elle. Gêné par les regards hostiles, il tient la tête basse, appuyée contre le pommeau de sa canne et je ne parviens pas à le voir.

La fille Rachel, reconnue coupable mais comme ayant agi sans discernement, est acquittée et rendue à ses parents.