Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/78

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perdu la tête. J’ai pris un couteau sur la table, près de moi ; je l’ai frappée au cou. Le couteau me collait dans la main.

— Elle était encore couchée ?

— Au premier coup, oui.

— A ce moment elle a cherché à se sauver ; elle a sauté du lit. Vous vous êtes jeté sur elle ; elle est tombée.

— A la fin en effet je l’ai retrouvée à terre.

— A la fin ? N’allons pas si vite ! Nous ne sommes encore qu’au commencement. Elle est tombée à terre, disons-nous ; et alors vous avez continué à la frapper, à la frapper comme un forcené, criblant de coups de couteau son cou, son visage et ses poignets.

— Je ne me souviens que du premier coup.

— C’est trop facile. Vous lui avez donné plus de cent coups ; d’après la déclaration d’un témoin, vous la mainteniez à terre d’une main, et de l’autre vous frappiez partout.

— Quand je me suis réveillé, Juliette était morte ; j’étais penché sur elle ; il y avait du sang partout… Je n’avais pas vu venir Madame Gilet.

— Entendant les cris de la malheureuse, elle était venue à son secours. Elle vous a vu la frapper avec une telle violence et une telle rapidité que cela ressemblait, a-t-elle dit, usant d’une image frappante, au timbrage des lettres dans les bureaux de poste. Vous entendez. Messieurs les jurés, au timbrage des lettres dans les bureaux de poste !

Et, là-dessus, le Président, joignant la mimique à la