Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/86

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crie : “ bravo ! bravo ! ”, c’est un délire. La femme de Charles, restée dans la salle, se lève cependant, en proie à l’angoisse la plus vive ; elle crie : “ C’est trop ! ah ! c’est trop ! ” et s’évanouit. On l’emmène.

Mais, sitôt après la séance, les jurés, consternés du résultat de leur vote (n’avaient-ils pas compris que de ne pas voter l’affirmative pour la demande des circonstances atténuantes, équivaut à voter la négative ?) s’assemblaient à nouveau et, précipités dans l’autre excès, signaient un recours en grâce à l’unanimité.

Sans doute auraient-ils voté tout bonnement d’abord les circonstances atténuantes, si Madame Gilet n’avait pas dit que le couteau, en se retournant dans la plaie, avait fait : “Crrac ! ”

Expliquerai-je un peu l’affolement des jurés si je dis que, l’avant-veille, avait paru dans le journal de Rouen, en tête, un article sur “ Les jurés et la loi de sursis ” (No du 17 Mai 1912) que j’avais vu passer de main en main, de sorte que tous mes collègues, ou presque, l’avaient lu ? Prenant prétexte d’une affaire qui venait de se juger à Paris, où les réponses du jury avaient forcé la cour d’acquitter trois précoces malandrins, cet article s’élevait contre l’indulgence. On y lisait :

“ Jamais les jurés parisiens n’avaient donné une telle preuve de faiblesse que dans l’affaire où, à la stupéfaction générale, ils viennent d’acquitter trois jeunes cambrioleurs convaincus d’avoir tenté de piller un pavillon…