Page:Gide - Souvenirs de la Cour d’assises.djvu/90

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épais, blond, aux yeux bleus, au visage ouvert et qu’on imagine volontiers souriant ; on dirait un marin ; il a gardé la grosse vareuse cachou de la prison ; il pleure continûment ; par moments, il se tamponne le visage avec un mouchoir à carreaux qu’il roule en boule dans sa main droite ; la main gauche est enveloppée d’un linge.

Lepic est un journalier du Havre ; son état-civil lui donne vingt-cinq ans ; il a ce qu’on appelle : une sale tête ; pommettes saillantes ; énorme moustache, nez pointu ; on n’est pas étonné d’apprendre qu’il a déjà été condamné sept fois pour vol. Il tient une petite casquette entre ses mains ; d’affreuses mains, noueuses et, l’on dirait, mal dessinées. Il n’a pas de linge ; ou, s’il en a, ne le montre pas. Près de lui, Henri Goret paraît fourvoyé. Cette espèce de fils de famille, ne semble pas de la même classe sociale que les autres ; il a du linge, lui, et même un protège-col ; une petite cravate à nœud droit ; son visage aux moustaches naissantes serait presque joli s’il n’était avili, abruti ; sa voix est frêle, fausse et voilée ; il ne sait que faire de ses grosses mains gourdes. Le père de Goret tient un débit de boissons et une sorte d’hôtel borgne près du grand bassin. Henri Goret n’a pas vingt ans ; il a épousé une putain qui s’est fait flanquer en prison peu de temps après le mariage. — N’importe ! Henri se présente assez bien ; certainement la décence, et j’allais dire la distinction de sa tenue, prédispose en sa faveur les jurés ; elle accuse la roture et le dénuement des deux autres.

Passons au récit de “ la scène de violences dont sont