Page:Gilbert-Lecomte – Monsieur Morphée empoisonneur public, paru dans Bifur, 1930.djvu/11

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et qui tient pourtant une place égale dans la plupart des consciences humaines.

Mais en face de ces hommes dits sains pour qui le repos de chaque nuit, même réduit à son strict minimum, est encore une charge trop lourde dont ils ne souhaiteraient rien plus que de se libérer enfin pour plus agir, il y a les autres, les amants des longs sommeils sans rêve, ceux qu’un mal inconnu harasse et pour qui le bonheur est « la Mort-dans-la-Vie ». Et surtout il y a, lourds et sans mercis, dans le champ clos du corps obscur, les combats entre les immortels ennemis, vouloir-vivre et non-agir, voluptés de puissances et celles plus perfides du vouloir qui se meurt en funèbres couchants, en déclins de vertige.

Parmi les hommes triplement marqués de mon signe, vous découvrirez les résultats de cette antinomie à tous les degrés de l’échelle des valeurs, depuis une majorité d’avachis héréditaire chez qui le goût des drogues n’est qu’une réaction animale contre le non-sens que constitue leur vie tarée, jusqu’à quelques grands forçats, maudits des tempêtes et des orages et qui sont toujours les terribles voix de l’esprit succombant au déshonneur d’être hommes.

Il y a, en effet, pour un certain nombre d’êtres à la sensibilité suraiguë, une conscience tour à tour intensément exaltante et douloureuse d’états opposés. Et les signes de ces crises s’exagèrent chez quelques prédestinés, monstrueux du seul fait qu’ils portent au fond d’eux-mêmes comme leur propre condamnation, un élément surhumain qui dépasse et contredit leur époque, fulgurations de l’esprit ou énergie physique gigantesque. De tels éléments suffisent à désaxer magnifiquement une vie humaine. D’abord par leur caractère anti-social : ils provoquent des actions irréductibles au jugement universel du commun des hommes qui se vengent en traçant autour du maudit le cercle magique qui l’esseule, l’incompréhension haineuse et les contraintes nivellatrices qui le forcent à l’amertume