Page:Gilkin - La Nuit, 1897.djvu/236

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Et, comme je m’assieds sur mon trône de fer,
À mes yeux se déploie une fête de chair,
Car, sous mille flambeaux ruisselant de lumières,
D’amples processions, blanches et printanières,
De vierges sans nul voile et d’adolescents nus,
L’œil baissé, le cœur gros de sanglots retenus,
Approchent lentement, en traînant sur les dalles
La douceur de leurs pieds, dans les clameurs brutales
Que poussent autour d’eux de tragiques soldats.
La lumière, avec eux, avance pas à pas
Et fait surgir, le long de la muraille obscure,
Un lugubre arsenal d’instruments de torture.
Les voici devant moi. Dans l’ardente clarté
Je m’enivre longtemps les yeux de leur beauté.
Sur mon ordre soudain les bourreaux les entraînent
Et sur les chevalets et les croix les enchaînent ;
Et c’est comme un bouquet de jeunes fleurs de chair
Dans des buissons de bronze et des ronces de fer.
Ah ! l’heure du supplice est venue ! Et la roue
Brise les os, la pince arrache, le clou troue,
Le croc déchire, la poix brûle et les ciseaux
Coupent la chair splendide en horribles lambeaux.
Le sang coule, le sang fume ; sur les poitrines
Lumineuses et sur les cuisses ivoirines
Le sang fait bouillonner des fleuves de rubis.
Et quels gémissements ! quels sanglots ! et quels cris
Montent sinistrement aux voûtes sépulcrales !
Et moi, glacé d’horreur, le sein plein de ces râles,
Les yeux pleins de ce sang, je m’élance, éperdu,
Vers mes victimes et tout mon cœur est fendu.