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homme de grande apparence, — conduisit l’enfant vers son père, qui était, lui, un homme très pauvre ; il lui demanda son enfant. Le père le lui donna. Cimabue emmena Giotto, et c’est ainsi que Giotto devint élève de Cimabue[1]. »

De cette historiette, — que Vasari ne fait que répéter mot pour mot, — il n’y a guère qu’un trait ou deux à retenir. Le nom d’abord, Giotto, diminutif d’Ambrogiotto, Parigiotto ; puis le lieu d’origine, le village de Vespignano, dans la vallée du Mugello. Tout le reste est fiction pure : jamais Giotto n’a gardé de moutons, jamais été berger ; son père était un assez riche propriétaire, vir praeclarus, ce qui signifie dans toutes les langues qu’il avait des biens au soleil. Quant à Cimabue, non seulement il n’est pas le maître de Giotto, mais à grand’peine peut-il défendre son existence même et prouver qu’il est un peu plus et autre chose qu’un mythe imaginé par l’ignorance et le chauvinisme florentins[2].

  1. Vita di Lorenzo Ghiberti… scritta da Giorgio Vasari, con i Commentarij di Lorenzo Ghiberti, éd. Karl Frey, Berlin, 1886.
  2. Ce n’est pas dans une note, et d’une manière incidente, qu’on peut réviser un procès qui a fait verser des flots d’encre. Depuis le P. della Valle, dont les Lettere Senesi (Rome, 1786) ont inauguré le débat, en contestant le dogme de la suprématie florentine, il s’est écrit sur la question toute une bibliothèque. La thèse siennoise a été soutenue particulièrement par M. Langton Douglas dans son History of Siena (Londres, 1902) et dans son édition de Crowe et Cavalcaselle, t. Ier (Londres, 1903). Voir également le bel article de M. T. de Wyzewa, l’Âme siennoise, dans ses Maîtres italiens d’autrefois (Paris, 1907).

    Il est certain que la vie de Cimabue a été écrite par Vasari, comme tout le reste de son œuvre, avec un parti pris de nationalisme irritant. Florence ne pardonnait pas à Sienne son désastre de 1261, son Sedan de Montaperti. Avec une rancune tenace, elle poursuit sur elle de longues représailles. Non contente d’écraser sa rivale, elle la dépouille de ses gloires. C’est ainsi que Vasari, par amour-propre florentin, grandit sans mesure Cimabue, et lui confère une sorte de rôle providentiel : pour cela, il lui attribue les œuvres du grand Siennois Duccio di Buoninsegna, telles que la fameuse Madone de Sainte-Marie-Nouvelle, et transporte à son nom, comme des histoires florentines, des faits qui se sont passés à Sienne en l’honneur de Duccio (Cf. Lisini, Notizie di Duccio pittore, dans le Bollettino senese di storia patria, Sienne, 1898). Vérification faite, il se trouve que, de la liste innombrable des œuvres généreusement prêtées à Cimabue par Vasari, pas une ne peut être