Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/116

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un miroir de la création, embrassant tous ses phénomènes, reflétant toutes ses apparences et faisant concurrence à la réalité.

Oui, ce fut un beau moment : déployer la vie dans cet art déshabitué de la vie, faire surgir, dans Assise même, la légende du saint d’Assise, au-dessus de son tombeau, à l’heure où les vieillards, dont les pères l’avaient connu, répétaient les traits de son histoire, et où dans les villages germaient les Fioretti… D’où vient toutefois que dans une œuvre si neuve et si puissante, rien ne manque tant que l’esprit franciscain ? Pourquoi ne reconnaît-on dans ces peintures pleines des miracles du Poverello, rien de ce qui constitue sa grâce inimitable, comme s’il était écrit que tout ce qui se ferait en ce lieu de sa sépulture, depuis la basilique d’Elie jusqu’aux fresques de Giotto, devait être une trahison inconsciente de ses idées, un pieux et involontaire outrage à son génie ?

Il y a peut-être avant tout une erreur de programme. Nulle illustration ne nous rendra le délicieux esprit de la légende franciscaine. Le grand art n’agit guère. Il est muet, immobile. Il peint, il chante, il rêve, il ne raconte pas. L’école anecdotique, qui cherche l’intérêt du « sujet », est presque forcément une école inférieure. Parcourez dans tous les pays les chefs-d’œuvre franciscains, de della Robbia à Greco et de Murillo à Rubens : un motif, une idée plastique, lyrique, mais une seule à la fois, voilà ce que les maîtres de toutes les écoles nous enseignent à choisir. Ils groupent, ils cristallisent sur une figure nos rêves. Ils nous proposent un thème d’émotions et de songes. L’exemple d’Assise a engagé la peinture florentine dans cette voie malheureuse de récits et de bavardages, où elle allait cent ans oublier la beauté.

Mais il y a aussi quelque chose de plus profond, une intime, une irréductible, une complète méconnaissance