Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/151

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met des idées éternelles derrière l’agitation de nos ombres éphémères.

Telle est la conception, d’un merveilleux idéalisme, qu’illustrent les images et les verrières gothiques, et dont leur Crucifixion n’est qu’un exemple entre cent autres. À vrai dire, celle-ci n’est qu’un hiéroglyphe. Nul art plus systématiquement n’élimine le fortuit, le relatif, le contingent. La foule, les spectateurs, les bourreaux disparaissent. D’une peinture de supplices, il n’en est pas question. Le Christ ne souffre pas. S’il a le côté ouvert, c’est pour rappeler qu’il en jaillit de l’eau avec le sang, et ceci est encore la figure d’un dogme, le dogme de la dualité de nature dans la personne du Christ. Quant à lui, on le voit souvent crucifié les yeux ouverts, impassible, debout, couronné comme un Pantocrator, un empereur vainqueur du mal et de la mort. Jusque vers le milieu du XIVe siècle, l’art des pays du Nord ne connaîtra pas autre chose. C’est pourquoi, en dépit de sa science et de son goût exquis, il paraît en retard. Car c’est justement sur ce point que la réforme des Mendiants allait, en Italie, être subite et libératrice. À cet univers abstrait, à ce monde d’idéologues, planète incomparable d’éclat et de lucidité, mais froide et glacée comme le verre, ils en substituèrent un autre, n’ayant plus rien de la pure beauté qui séduisait les professeurs, — mais qui avait cet avantage sans lequel rien ne compte : la réalité et la vie.

Voyez les barbares crucifix des derniers byzantins de Pise ou de Pérouse, — ce crucifix énorme qu’on plaçait sur l’ambon au milieu de l’église, et qu’on appelait le « Pendu ». Presque tous sont monstrueux, quelquefois repoussants. Un terrible effort les disloque et les tord : ils sont grimaçants et hideux. Mais quel pas de géant dans le Calvaire de Cimabue, à la croix de l’église supérieure d’Assise ! La peinture n’est plus qu’une ombre, un nuage