Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/183

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sibles. Si, comme on l’a dit, l’art consiste à exprimer l’invisible par le visible, il n’y a rien au-dessus de cette merveilleuse architecture d’idées. Nul art plus dépouillé de toute sensualité. Sans doute, il ne faut pas croire que cette œuvre admirable soit, dans ses éléments, une création dominicaine. Il y avait longtemps que ce monde irréel flottait dans la pensée chrétienne. L’imagination brûlante d’un rhéteur africain avait doué d’une vie précieuse et baroque ce peuple d’allégories, fragile mirage qui enchanta pendant des siècles l’Europe. Pendant mille ans, le bizarre cortège des Noces de Mercure et de la Philologie[1] comprit pour le moyen âge le programme de l’éducation et l’idéal de toute culture. Aux porches des cathédrales, dans les statuettes des voussures comme aux quatrefeuilles des rosaces, on pouvait voir sculptées ou peintes ces personnifications ingénieuses du trivium et du quadrivium. La Musique frappait ses cloches ou battait ses enclumes ; l’Arithmétique faisait glisser incessamment ses billes sur les tringles de l’abaque ; la Rhétorique déroulait son volume de discours, la Géométrie maniait le compas et l’équerre, l’Astronomie consultait tour à tour la sphère et les étoiles ; la Grammaire montrait un livre et la Logique jouait avec le scorpion dont les pinces figurent les termes du dilemme. Ces sept fées singulières, petits génies féminins des occupations de l’esprit, donnent lieu à des mariages, à des combi-

  1. On appelle ainsi, on le sait, les deux premiers livres du Satyricon de Martianus Capella. Cet écrivain vivait vers 470 après Jésus-Christ. Son roman encyclopédique, pédantesque, affecté et charmant, a eu la rare fortune d’inspirer toute une série d’ouvrages comme ceux d’Alain de Lille, de Jean de Meung, et jusqu’à l’école des « grands Rhétoriqueurs » et à certains détails du Songe de Poliphile. C’est un de ces rêves que l’esprit humain ne finit jamais. La vogue du Satyricon ne cessa pas avec la Renaissance. Grotius en donna une édition à Leyde en 1599. Cf. la notice d’Adam Goëtz dans son édition de Nuremberg, 1794 ; V. Chauvin, Les Romanciers grecs et latins, Paris, 1864, p. 269 ; Filangieri di Candida, Marciano Capella e la rappresentazione delle arti liberali nelmedio evo e nel rinascimento dans Flegrea, vol. IV, 1900.