Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/210

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cieux Décaméron ! C’est le monde de Boccace, le petit cercle d’heureux que gouverne la reine Pampinée et que charme l’espiègle Fiammette. C’est là que la grande tueuse fond comme sur sa proie. Quelle parole vaut ce sermon ?

Ce n’est pas le seul « Triomphe » qu’ait remporté la mort sur l’imagination riante de l’Italie. À Palerme, à Subiaco, voici sa chevauchée terrible sur un cheval d’Apocalypse, espèce d’épouvantable rosse, aux pattes de sauterelle, foulant au galop de charge une humanité écrasée. La voici à Sienne, criblant de flèches une tablée de joueurs. La voilà bientôt à Clusone, carcasse goguenarde, armée à la moderne, canardant de son arquebuse la canaille terrifiée[1]

Qui a produit ce brusque changement de sensibilité, cette saute de température, cette fièvre qui s’empare des imaginations ? D’où vient cet ébranlement qui semble détraquer le tempérament européen ? Car c’est sur l’Europe tout entière que passe ce vent de Dies irae. Il n’y suffit plus cette fois d’une pédagogie nouvelle et

  1. Sur la fresque de Subiaco, cf. Hermanin, Le pitture dei monasteri sublacensi, Rome, 1904. La fresque de l’hôpital de Palerme est de Crescenzio. Le tableau de Sienne est une des tablettes de la « Biccherna », datée de 1436, actuellement au musée de l’Art industriel de Berlin (Ellon, Tavolette dipinte della Biccherna, dans le Bollettino Senese di storia patria, t. II, fasc. 1 et 2). Sur la fresque de Clusone, et quelques autres semblables qui se trouvent dans la région des lacs italiens, cf. P. Vigo, Le danze macabre in Italia.,2e éd. Bergame, 1901. L’auteur y montre que la danse macabre est toujours une exception en Italie, où la forme nationale qu’a revêtue l’idée est celle du « Triomphe», sans doute imposée par Pétrarque.

    Un curieux tableau de Pietro Lorenzetti, au musée de Sienne, et provenant du couvent de Monnagnese, représente l’idée sous une forme très originale : c’est une vraie « histoire de la mort », d’Adam à Jésus-Christ, une méditation sur le mystère de la Rédemption : « O mort, où est ta victoire ? Qu’as-tu fait de ton aiguillon ? » Cf. Pératé. Un triomphe de la mort de P. Lorenzetti, dans les Mélanges Paul Fabre, 1903. — Voir encore le gradin mystérieux du retable de Santa-Croce, peint par Agnolo Gaddi, en 1362. La mort, au pas d’un buffle noir, poursuit un cavalier monté sur un destrier blanc, et qui se retourne pour lui tendre, d’un geste de défi, un rameau d’oranger. Cf. Pératé, dans l’Histoire de l’Art de M. André Michel, t. Il, p. 882.