n’avait pas assez de sa consommation ordinaire d’existences, et se décidait à recourir à des moyens d’exécution plus prompts et plus complets[1].
Les suites de l’événement furent telles qu’on les prévoit. Ce n’est pas sans raison que chez Boccace la peste sert de préface à un livre de contes d’amour. Ces grandes exterminations sont un stimulant de volupté. La vie avec ardeur répare ses brèches et ses pertes. C’est une furie de jouir, une orgie de luxure, un Pervigilium Veneris. On se marie en masse. On n’y va que par deux, trois enfants à la fois. « Ce fut, écrit un chroniqueur, comme le commencement d’un autre âge du monde »[2]. Après cela, le monde nouveau ne vaut pas mieux que l’autre. Tous les appétits débridés s’en donnent à cœur joie. Michelet dit le mot : « une joie d’héritiers ». Un goût de luxe et de plaisirs, de kermesses et de bombances, les plantureuses ripailles de la cour de Bourgogne, l’opulence sourdement sensuelle et onctueuse de la peinture flamande trahissent cette invasion de matérialité. En France, c’est un vertige d’étourdissements et de fêtes. Il n’est bruit que de mascarades, d’ébats et de caroles. Et autour du roi fou, c’est une ronde fantasque, un carnaval extravagant, les coiffes, les hennins excentriques, les souliers incroyables, les franges, les dents de scie, les baroques oripeaux d’un monde qu’on dirait sorti d’un jeu de cartes.
En même temps, sous ce tourbillon de bacchanale, on sent, surtout parmi le peuple, une inquiétude, une détresse, une mélancolie incurables. L’année qui suit la