Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/310

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démêler les plus impalpables nuances. — « Mein Reich ist in der Luft ». Ce royaume de l’éther dont parle le musicien, je dirais presque, en un sens, que c’est celui d’Angelico : un domaine subtil, fait des ondes lumineuses et du rayonnement des corps, — un art qui ne peint pas les choses, mais ce qui s’en dégage, ce qui flotte, s’exhale, miroite, s’évapore, les apparences nacrées et diaprées du monde, les vibrations limpides de la lumière solaire, — ces beautés chastes et pures dont l’imagination peut composer le ciel.

Oui, Frà Angelico est un peintre admirable. Car rien ne serait plus faux que de le regarder comme un doux rétrograde et comme un attardé. Son mysticisme n’est pas une suave infirmité[1]. C’est un reproche dont ses plus récents biographes, M. Langton-Douglas et M. Henry Cochin, ont fait bonne justice[2]. Certes, le génie d’Angelico lui est tout personnel. Son lyrisme n’appartient qu’à lui. Mais il a été parfaitement de son siècle. Il est contemporain de Brunelleschi, de Ghiberti et de Donatello. Il est l’ami de Michelozzo et le fournisseur ordinaire de Cosme de Médicis. Pas une découverte en art dont il ne fasse son profit. Il faut se fermer exprès les yeux, pour croire qu’il est resté esclave d’une formule invariable. Du Couronnement du Louvre aux fresques de Saint-Marc et à celles du Vatican, il n’est pas demeuré un moment immobile : chaque étape marque un progrès. Personne n’a accueilli avec moins de mauvaise humeur les principes de la Renaissance ; il les a employés sans l’ombre de défiance. Ce grand poète était, à sa manière, un réaliste : jamais abstractions, de symboles, d’allé-

  1. Cf. Berenson, The Florentine painters of the Renaissance, Londres, 2° édit., 1904, p. 24.
  2. Cochin, loc. cit., p. 138 et suiv. ; 201 et suiv. ; — Wyzewa, Maitres italiens, p. 49 et suiv.