Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/39

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On épilogue encore sur le caractère et le mérite respectif des deux saints. Je ne prolonge pas le parallèle. Il est clair que saint Dominique n’aurait pas l’avantage. Il nous est beaucoup moins connu que son ami. Dès l’origine, il a eu une presse moins brillante. Ce n’est pas un saint pittoresque. Ce tendre et vigoureux athlète, d’âme si douce et si humble, l’étudiant qui vendait ses livres pour secourir les pauvres, et brûlait de se livrer lui-même en échange d’un captif ; l’apôtre qui, plus tard, dans ses courses évangéliques, découvrant de loin les toits des villes pleines de péchés, ne sait pas retenir ses larmes ; qui supplie le pape de ne pas publier ses miracles et qui, au lit de mort, se punit d’un mouvement d’orgueil éprouvé à la pensée de sa chasteté, en s’accusant d’avoir, dans la conversation des femmes, préféré les jeunes aux vieilles, — ce beau et mâle visage a pourtant un grand charme. Il y a chez cet Espagnol un tranquille héroïsme, une âme de croisé, du Saint-Jacques ou du Cid. Menacé d’un guet-apens, il chante en s’engageant dans le « chemin du Sicaire ». Une lumière devait émaner de sa personne, une sorte de rayonnement céleste, cette atmosphère d’éclat, tantôt doux et tantôt terrible, que ses portraits expriment par une étoile au front, et qui revient dans sa légende sous la forme de visions de feu, d’incandescences, de météores, de chiens secouant dans leur gueule une torche enflammée.

Et pourtant, pour lutter avec son grand rival, il lui manquera toujours on ne sait quoi qui se sent plus qu’on ne peut le dire ; il lui manque cet air de fête et de roman, le côté d’enthousiaste, de rêveur et de paladin, ce luxe, ce charme d’enfant prodigue qui font un délice du récit de la vie de saint François par les Trois Compagnons ; il lui manque cet inattendu, ce trait de folie et de fantaisie, cette mobilité, cette pitié profonde de la souffrance