Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/392

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tère : il devient catholique, ou plutôt jésuitique ; mais il n’en est pas pour cela plus chrétien. Toute idée élevée disparaît ; le matérialisme espagnol, dans sa révoltante crudité, l’emporte de toutes parts. Est-ce une haute conception de l’idéal de la beauté morale que révèlent les toiles du Guerchin ? Non ; c’est la grossière assurance d’une orthodoxie qui brise son objet pour vouloir l’étreindre, c’est le réalisme dévot qui veut toucher ce qu’il faut se contenter de croire, et, comme saint Thomas, met brutalement ses doigts dans la plaie[1].

« Matérialisme » est bientôt dit, mais encore faut-il voir ce qui se cache sous ce gros mot. L’art du XVIIe siècle n’en est pas moins religieux pour affectionner les formes vigoureuses, et pour traiter le surnaturel dans le langage le plus concret. C’est ce qu’expliquent à merveille les Exercices de saint Ignace.

Tout repose dans ce système sur la plus clairvoyante des analyses psychologiques, et sur ce principe que l’homme se gouverne, non par des idées, mais par des émotions et des images. De là un entraînement spécial, une « mécanique de l’enthousiasme », chef-d’œuvre de discipline qui transportait naguère M. Maurice Barrès, et dont il avait fait l’armature de son égotisme et la base savante de sa « culture du Moi ». Taine, le grand critique de la genèse des produits humains, faisait des Exercices un de ses livres de chevet. Dans son Voyage en Italie, il leur consacre un long morceau[2]. Vingt-cinq ans plus tard, l’auteur de l’Intelligence y revenait encore et voici ce qu’il en dit au dernier tome des Origines de la France contemporaine.

Il s’agit de reconstituer pour l’âme le monde surnaturel ; car, à l’ordinaire, sous la pression du monde naturel, il s’éva-

  1. Renan, Nouvelles études d’histoire religieuse, 1884, p. 406.
  2. Ed. 1866, t. I, p. 367 et suiv.