Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/130

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— Bien, mon ami. Je vous attendrai. Votre couvert sera mis, et votre fauteuil, cet été à la fenêtre, l’hiver près du feu.

— Je serai rassasié et reposé, dit mon ami en souriant.

Le sourire de Jean me cherche toujours un moment, tâtonne, puis, ayant trouvé mes yeux, s’y repose. Je le reçois, l’être inondé de surhumaine joie, puis je ferme les paupières, je l’enferme là, serré ; et la nuit, dans le noir, je le retrouve, presque intact, en cherchant loin dans mon cœur. Mais cette fois, le sourire de Jean m’écrase d’une douleur si vive que la plainte me monte aux lèvres, débordante ; je l’arrête, farouche, je la mords, pâlie de l’effort, pour lui obéir, pour vaillamment lui sourire. Et le sourire de Jean s’efface, et il me regarde fixement de ses clairs yeux qui foncent d’un brusque envahissement des prunelles, comme un élancement de douleur. Je reste, tranquille, sans crier le sanglot de révolte qui monte, têtu : je reste, telle que je veux qu’il me voie là-bas, pâle, les cheveux bien lissés, les yeux fidèles. Alors il se détourne ; il va vers la fenêtre de mon petit salon, ouverte sur l’embrasement du jardinet en fleurs. Et je peux exhaler en une longue prière la plainte qui monte en frissonnant.

Après cela, nous nous retrouvons, fortifiés ; il