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Mon chéri qui êtes au loin, mon doux chéri perdu, ma vie qui vous écoulez, mon sang qui se verse goutte à goutte…


II


On sonne à la porte vernie de ma maison. Dickson va ouvrir, dans un froufrou digne de son blanc tablier d’anglaise. Je ferais volontiers nier ma présence, mais les principes de Dickson s’y opposent lorsque je me repose à l’ombre dentelée de mon tamaris pleureur. Et je sais qu’inexorable, sa main stylée indiquera bientôt aux importuns ma retraite, que le bruit banal des voix humaines noiera la sourdine voluptueuse et profonde des abeilles grisées, et ce rare soleil de 1916 que j’adore d’une ferveur respectueuse sera oublié, chassé par d’impudentes ombrelles dressées entre lui et moi.

— Ah ! bonjour, Jeanne ; quelle chaleur dégoûtante, et quelle infection de poussière dans votre quartier, ma chère ! Quand vous logerez-vous comme une chrétienne ? Du thé, voilà qui m’ira bien ; Jean parle toujours de votre thé… Vous savez, Denis a reçu son portrait. La Baronne Tony l’a rapporté dans la doublure de sa jupe. Quelle charmante femme, cette baronne Tony… Jean est tout blanc. Et quand serons-nous débarrassés