Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/146

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— Jeanne…

Ce n’était qu’un murmure, mais cette fois je sus qu’il venait de Jean, et il éclata dans mon cœur avec un bruit de cloche. La chambre m’en parut pleine. Jean m’appelait ! Je me dressai, répondant à la voix :

— Je viens !

Et puis je me tournai vers lui, effrayée du son de ma voix dans le formidable silence. Les yeux de Jean étaient tout noirs, et il avait une figure affreuse, qui se décomposait ; il me parut encore, dans une fantastique illusion, ne voir au miroir que l’image de mon propre cœur crispé. Mais une chose horrible était arrivée… Laquelle…

— Jean, vous m’avez appelée ?

J’entendis ma voix, râlant comme dans les cauchemars.

Il ne répondit pas.

Colette, entre nous, dormait avec de petits coups de glotte accablés. Je la regardai tout-à-coup.

Le domestique entra doucement rechercher les tasses vides. La porte ouverte sur le vestibule blanc dessina un grand carré lumineux qui faisait mal aux yeux. Colette s’éveilla, chagrine, les cheveux collés, disant qu’il n’y avait pas d’air. Jean se levait, parlait de faire atteler. Il avait son