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V


Dans le calme de mon faubourg frangé de jardinets, poudré de poussière blanche, le grondement sourd, contenu du canon lointain semble la menace d’une grosse bête repue que des sursauts d’appétit soulèvent entre deux ronflements. Il y a deux ans qu’elle est venue me chercher Jean, cette assoiffée, et elle n’est pas encore endormie. Tais-toi ! Mais tais-toi donc, grande bête affreuse, grande gueule ouverte, ruisselante de sang frais…


VI


Parfois, je vais voir Denis ; Denis a les yeux de Jean et le regard de sa mère ; il a la voix de Jean et le langage de Colette. Ces réminiscences travesties de Jean me sont insupportables. Il a de Jean les raffinements excessifs, les dégoûts chatouilleux, les délicatesses d’hermine, mais tournés du côté matériel des choses : Denis change de linge deux fois par jour, se vêt de soie, sursaute aux gros mots, faiblit à la douleur. Il a l’âme puérile, amusée d’un rien, boursouflée de vanité et de désirs menus. Il a le goût intense des petits barons, des armoiries et des couronnes. Pour le