Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/182

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La clairière approchante irradiait déjà le chemin, frappait nos visages de chaleur et de clarté. Jean reprit, grave tout-à-coup :

— Cela ne fait rien, Jeanne ! Allons toujours. Nous entrerons un jour dans la lumière !

Pourquoi ce souvenir vient-il, comme une torche dans la nuit, m’aveugler ? Là-bas, Jean dort toujours, la figure vers le ciel, immobile, un bras raide sous la tête. Ses lèvres rasées, d’une chair si sensitive et fine sont closes en une ligne dure. Il a un poing sur la poitrine. Mais est-ce que je vois bien, dans la nuit rampante… il a les yeux ouverts. .. des yeux glacés et troubles…

Quel cri ! Dickson est accourue avec une lampe. Qu’est-ce que c’est ? Est-ce que j’ai dormi ? C’est mon salon, ombré et délicat, les choses familières, et voici le fauteuil de Jean, et ses fleurs, et ses livres… Par la fenêtre, voici le ciel noir, sous lequel dort Jean. Tout est habituel, paisible. Mais j’ai froid. Et dans ce petit miroir, là-bas, est-ce mon visage que je vois, terrible et blanc, troué de deux yeux d’épouvante ?

— C’est bien, laissez la lampe, Dickson. Non, je ne lirai pas. Fermez la fenêtre…

Quand mon cœur va-t-il cesser de se convulser ainsi ? De quoi ai-je si peur ?… Rien n’est arrivé… Tout me fait peur : le bruit de ma main sur ma