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parlent à mi-voix. Colette est là. Elle a pris l’antique fauteuil, devant la cheminée. Elle est entourée de ses crêpes. Elle a le front baissé. Elle est la Veuve. Sa tristesse est assise, majestueuse, permise et nécessaire.

— Colette, je viens vous dire…

Elle se lève, ses draperies traînent. Ses yeux troublés rougissent, tremblent. Colette pleure, jetée dans mes bras. Je l’y garde. Mais une fureur, une férocité me soulèvent, me font défaillir. Elle pleure ! elle ose pleurer, elle ose se dire à plaindre, elle ose croire qu’elle aimait Jean ! Et une jalousie effrénée, physique, me prend, à sentir contre moi le corps de cette femme appartenant à Jean. Mes dents se serrent. Je tremble. Et je m’entends dire doucement des mots d’apaisement, des mots convenables, de circonstance, qui paraissent suffire à la peine de Colette.

Les visiteurs, guindés, ajoutent leur note de commisération bien élevée. On parle de Jean au passé, on égrène, on étale ses qualités ; et c’est comme si on déshabillait son cadavre, là, devant ces étrangers.

Colette me félicite d’être restée fille, de ne pas connaître cette douleur, d’être au delà, en dehors des peines de la vie. J’écoute et supporte ses enseignements, tête baissée : elle est la veuve.