Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/35

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derrière les façades obscurcies ; l’ombre, autour de lui, monte en rampant, noyant les choses d’une fumée de rêve. Et le sang lui bat toujours aux artères, de brefs frissons le glacent. Il sait : un accès de fièvre, la faiblesse, l’étourdissement, l’air de cette chambre après l’aseptique infirmerie… cela passera… il faut attendre…

Mais, en silhouettes de vapeur, autour de lui la pièce se peuple lentement… oui, Nine est assise, là, dans sa bergère vide : un groupe de spectres en habits noirs lui font un collier d’où fusent, comme des diamants, ses rires légers… d’autres Nine, délurées, fument, glissent, jettent leurs yeux hardis dans des yeux rôdeurs de proie ; Nine avec des hommes, Nine entourée d’hommes, des Nine frôlées, regardées, discutées ; des Nine satisfaites, irritantes et effrontées… Et dans le coin de tête à tête d’une douceur de nid, un couple est assis à l’ombre du paravent : une robe de femme distinctement se détache, et l’épaule du cavalier penché, l’œil ardent derrière le sourire ; et la main blanche qu’il saisit et baise lentement, sous les dentelles du coussin bienveillant… la main de Nine… Cette fois, l’hallucination semble si réelle, si criblée de détails terrestres que l’homme qui la subit se jette les mains au front, l’écrase, le griffe de ses ongles fous. Oui, là, c’est bien cette femme-