Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/53

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à voir, Mademoiselle, avec ses cheveux jaunes tirés aux tempes, et bouffant dessus, qui lui faisaient une figure en porcelaine. Moi, je réponds, n’est-ce pas. Quand on entend crier, on crie aussi, plus fort. On dit des choses qu’on a dû penser, mais qu’on ne savait pas qu’on avait pensées. Alors, Adèle s’en va se coucher, avec de fines lèvres toutes plissées et un front comme s’il était en bois tout-à-coup. Elle avait sa mauvaise tête. Je pense : c’est qu’elle a mal fait. Je saurai bien qui. Et les bottines qui restaient là, avec leur tige penchée et leur petit bout brillant, me tiraient les yeux. Et, en frottant la jupe entre mes doigts : c’était une belle étoffe, qu’on pense ce que ça coûte pendant la guerre. J’ai été jeune, Mademoiselle, je sais comment ça va, à l’atelier. C’est vite venu, allez. Mais c’est plus d’ennui, quand on commence, que de plaisir. Et puis, on a beau dire, sa fille, on ne veut pas : c’est autrement. C’est bien, que je pense, j’irai parler à la patronne. La nuit, Mademoiselle, je ne pouvais pas dormir. Ces bottines me pesaient sur la poitrine. Je ne dis rien, le matin, quand Adèle, en disant toujours des sottises à mi-voix, s’habille et boit son café. J’étais douce, je savais mon affaire. À onze heures, je mets les volets à la boutique, que les voisins me regardent faire ; je prends ma clef en poche, et je m’en vais