Page:Gilson - Celles qui sont restées, 1919.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

correct et ponctuel ; après, il disparaissait jusqu’au matin. Je n’ai jamais demandé où il allait : qu’est-ce que cela fait ? Personne ne l’aime. Et moi, il m’a laissée toute seule dans la vie.

L’hôtel, les grands salons abandonnés, se couvraient lentement de poussière ; la domesticité, engraissée, baillait dans tous les coins. Et les jours passaient. Après les ronflements de fête de notre vie, après ce va-et-vient, ce luxe, cette trépidation, après cette extase de te voir, et cette violence de te voir, et cette ardeur de vivre, la tranquillité, brusquement, était tombée, le néant pâle élargissait son cercle, envasant les gestes, la volonté, les désirs. L’été a passé, puis l’hiver, et de nouveau les étés, et de nouveau les hivers. Il y a eu du soleil et de la pluie, de la gelée et du vent. Et par dessus les saisons, nos ennemis ont étendu le silence, comme le grand vélum de notre prison. Ils ne nous ont permis ni plaintes, ni protestations, ni lettres, ni appels. Ils ont bâti autour de nous un mur épais, sans briques ni mortier. Nous sommes seuls, enfermés dans notre pays comme dans une trappe. Et les jours passent, et les semaines, et les mois, et les années…

C’est cette atmosphère de cave, je crois, qui a commencé le mal : on ne respire plus ; et puis, toute cette douleur enfermée, douleur de corps et d’âme,