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Page:Girard - Émile Deschamps, dilettante, t1, 1921.djvu/73

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Vieil amant de la scène et de ses nobles jeux,
C’est à Lekain surtout qu’il donnait le grand rôle,
Géant à qui Talma ne venait qu’à l’épaule,
Nous disait-il souvent, et nous tous, sur ce point,
Épris du temps présent, nous ne lui cédions point,
Et de là des débats, des colères charmantes,
Où son esprit lançait des flammes plus brillantes.
Il fallait voir alors son jeune et beau courroux
Quand, loin du droit sentier, quelques-uns d’entre nous
Cherchaient à débaucher la sainte poésie,
Et comme il foudroyait la naissante hérésie !
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Si, quoique novateurs par génie et nature,
Certains ont conservé pourtant quelque mesure,
Certains qu’il chérissait et que nous connaissons,
Ils le doivent peut-être à ses sages leçons.


La naissante hérésie trouvait dans le salon de la rue Saint-Florentin •de plus irréductibles adversaires que l’aimable vieillard. C’était le solennel M. Parseval-Grandmaison le plus parfait représentant de la stérile Ecole impériale ; c’était Baour-Lormian, qui, dans sa traduction à^Ossian, croira avoir atteint les limites de l’audace ; c’était le spirituel et sceptique Brifaut, l’auteur du fameux Ninus ^, joué par Talma, et qui célébrait le retour des Bourbons, comme il avait salué le mariage de Napoléon ou la naissance du roi de Rome, dans des odes, conformes aux règles de l’art et d’un enthousiasme correct.

Cette correction même, unie à tant de stérilité, impatientait la génération nouvelle, qui brûlait, suivant l’image expressive d’Emile Deschamps, « d’un feu de poésie au cœur ^ ». M. Deschamps le père

1. Parseval Grandmaison, né à Paris en 1759, mort en 1834. Fils d’un fermier général qui périt sur l’échafaud, il s’adonna à la peinture, ensuite à la poésie, selon la formule de l’école descriptive. Il suivit Bonaparte en Egypte, fit partie de l’Institut du Caire. L’Orient ne lui a rien appris. Œuvres principales : Arnows épiques, poème en 6 chants (1804) ; Philippe Auguste, poème épique en 12 chants (1825). Il représentait à l’Académie française le parti des classiques irréductibles et l’ironie de ses adversaires s’exerça bien souvent à ses dépens. Cf. Fournel. Dictionnaire d’anecdotes, I, 404.

Michaud lui demandait un jour : Combien votre épopée a-t-elle de vers ? — Trente mille, lui dit Parseval en se rengorgeant. — Diable ! mais il faudra trente mille hommes pour la lire.

Autre anecdote plaisante et relatant une malice dont il fut victime de la part d’Emile Deschamps. Ibid., II, p. 86.

2. Cette pièce était d’abord intitulée : Philippe II, roi d’Espagne. La censure «n 1814 interdit la représentation, si la tragédie gardait ce titre. Brifaut le transforma en celui de : Ninus II. Pour rendre ce travestissement vraisemblable, il n’avait eu que quelques vers à modifier. Rédacteur à la Gazette de France, il donna encore au théâtre une Jane Gray en 1814, et Charles de Navarre en 1820. Né à Dijon en 1781, il mourut en 1857. Voir chez Lcgouvé, Soixante ans de souvenirs, t. II, p. 332, un portrait charmant de cet homme de lettres d’autrefois.

3. Œuvres complètes, tome IV, p. 175.