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Page:Girard - Études sur la poésie grecque, 1884.djvu/176

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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

fatalement égarée par la passion, « elle s’est heurtée contre le trône élevé de la justice. » En définitive, elle porte la peine d’une inutile transgression, car les dieux n’avaient pas besoin d’elle pour venger les droits outragés de la famille, et elle n’avait qu’à les laisser faire. Voici donc quelle est la pensée principale du poète, celle qui fait l’unité de son œuvre, vainement niée ou cherchée ailleurs : il y a excès chez Créon, excès chez Antigone, et c’est ce qui les perd l’un et l’autre dans le double drame où ils jouent successivement le premier rôle ; donc de l’opposition de ces deux excès, et des effets semblables qu’ils produisent, ressort une leçon de modération. L’attachement obstiné à son propre sentiment, la folie de la passion qui franchit les bornes légitimes, conduisent à la ruine. Si les deux victimes sont frappées, c’est qu’elles n’ont pas accepté le double frein qui est imposé à la volonté individuelle et à la passion par les lois divines et par les lois humaines. Une faute analogue cause aussi l’égarement et la mort d’Hémon. Donc, selon la sentence par laquelle le chœur clôt la tragédie comme par sa vraie conclusion, la sagesse est de beaucoup le meilleur moyen d’arriver au bonheur. C’est là cette pensée profonde qu’on devait trouver dans un chef-d’œuvre de Sophocle ; elle le pénètre et l’anime tout entier. Et cette vérité éclata avec une telle évidence aux yeux des Athéniens char-