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LA PASTORALE DANS THÉOCRITE

Tu ferais mieux de nous cuire des lentilles, surveillant cupide, au lieu de te couper les doigts en sciant des grains de cumin. »

Ce chant de Lityersès, comme l’appelle le moissonneur qui le chante, n’a rien de mythologique ; c’est à peine de la poésie. Ces apophtegmes et ces moralités, ces malices rustiques, sans le plus humble élan d’imagination ni la moindre intention de grâce, c’est la vie même de l’ouvrier de la campagne ; ce sont ses idées courtes, ses sensations renfermées dans le travail mercenaire qui le courbe sous le soleil ardent. C’est là précisément ce qu’a voulu rendre Théocrite ; il a voulu d’abord nous donner en quelques vers l’impression directe de la réalité champêtre. Il a voulu encore autre chose, et puisque nous sommes amené en premier lieu à cette idylle, indiquons tout de suite quelles oppositions, quelles nuances, quel art d’arrangement donnent son caractère et sa valeur à une des plus simples compositions du poète. Il met en scène deux personnages de nature très différentes, qui se font ressortir mutuellement : l’un, celui que nous venons d’entendre, est défini par sa chanson autant que par son langage ; c’est un rude ouvrier, tout à sa tâche ; l’autre, de la même condition, est un poète amoureux. Depuis onze jours qu’il aime, il n’a plus le cœur au travail ; en ce moment même, quoique au matin, sa faucille paresseuse abat le