Page:Girard - Études sur la poésie grecque, 1884.djvu/267

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
LA PASTORALE DANS THÉOCRITE

d’illusion ? Le chevrier des Thalysies est bien autrement réel, malgré l’intention ironique d’un portrait qu’un peintre n’aurait qu’à transporter sur la toile :

« C’était un chevrier, et nul à sa vue ne s’y serait trompé, car il avait toute l’apparence d’un chevrier. Sur ses épaules il portait la peau velue d’un bouc fauve qui sentait la présure fraîche (il venait de s’y essuyer les mains en faisant des fromages, nous explique le commentateur ancien) ; sur sa poitrine un vieux manteau était serré par une ceinture tressée, et il tenait de la main droite un bâton recourbé d’olivier sauvage. »

J’imagine que l’original de Lycidas était un élégant, qui s’amusa fort de cette transformation, et que le seul trait exact du portrait de fantaisie tracé par Théocrite, c’est ce sourire tranquille qui distend ses lèvres entr’ouvertes et qui fait briller ses yeux, quand, avec une bienveillance légèrement railleuse, il adresse la parole à son jeune compagnon. Mais ces nuances de spirituelle ironie, comme toutes les autres allusions, sont comme enveloppées par l’atmosphère vraiment champêtre où se meut toute la pièce. Virgile, cet amant si fin et si passionné de la nature, ne conserve qu’une faible part de vraisemblance pastorale dans ses églogues allégoriques ; et il n’a pas d’esprit : ce n’est pas en se jouant à la surface, c’est en pénétrant au fond des âmes touchées par la douleur ou par la pas-