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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

son nom. Aussi, quelque piquant que soit le tableau de la grâce candide dont il pare la jeune amante de Jason avant les crimes auxquels elle est destinée, Apollonius n’a ni pu ni voulu se dégager complètement de ces sombres traditions. Il a rejeté dans l’ombre, indiqué par de courtes ou vagues allusions ce terrible avenir qui lui est réservé ; mais il a dû conserver certains traits dont l’absence l’eût absolument défigurée, et il a même raconté le meurtre d’Apsyrte, qui faisait partie de son sujet. Cette double nécessité le condamnait à des disparates que son goût n’a pas su toujours atténuer.

Ainsi un caractère essentiel de Médée, c’est sa qualité de magicienne. Il n’est pas possible de l’en dépouiller ; autrement la conquête de la toison d’or ne se ferait pas et il n’y aurait pas de poème. Mais on ne peut se dissimuler que ce caractère se concilie médiocrement avec la naïve timidité d’une jeune fille. Le seul moyen de sauver cette inévitable contradiction, c’était sans doute de ne pas insister sur cette qualité de magicienne, de la considérer comme un attribut, presque comme un costume connu et accepté d’avance, qui s’indique, mais ne se décrit pas. Apollonius s’en était bien gardé : comment aurait-il sacrifié la partie la plus merveilleuse de son sujet et renoncé à la meilleure occasion de montrer son talent descriptif ? Non seulement donc, au milieu des progrès de la pas-