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Page:Girard - Études sur la poésie grecque, 1884.djvu/350

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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

pas ici tout simplement. Nous ne nous abandonnons pas au plaisir qu’elles nous causent sans quelque trouble et sans quelque inquiétude. Cette prairie émaillée de fleurs où s’ébattent les jeunes filles est tout près du temple d’Hécate, la terrible déesse ; non loin de là est la plaine de Mars avec ses taureaux qui vomissent la flamme, ainsi que le bois où veille le monstrueux dragon, et nous voyons à l’horizon les sommets affreux du Caucase que le poète vient précisément de nous rappeler.

Virgile, lui aussi, subira le charme d’Homère et comparera sa Didon à Diane, accompagnée de ses nymphes ; mais comme cette comparaison et toutes les impressions de la nature environnante s’accorderont avec le drame de l’amour et se mêleront heureusement à son mouvement et à ses émotions ! C’est au milieu des forêts et au bord de la mer que la ville naissante élève ses magnificences. Sur la mer, Didon voit du haut de son palais fuir le vaisseau d’Énée, et bientôt la clarté de son bûcher ira l’y poursuivre ; dans les forêts se répandent les chasses des deux amants. Par instants, le drame semble tout pénétré de ces impressions de la nature voisine. De là le pathétique particulier de la plainte de Didon, enviant la facile et paisible innocence de la bête sauvage :

Non licuit thalami expertem sine crimine vitam
Degere more feræ !…