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Voulez-vous savoir quel homme était Narcisse Bigué ? Représentez-vous un être énorme, haut, large d’épaules, la poitrine portée en avant comme une grosse caisse, la tête volumineuse solidement assise sur le tronc presque sans transition, le cou étant très court et bouffi. Fait extraordinaire dans nos campagnes, et surtout pour un homme comme Narcisse Bigué, il ne portait pas de barbe. Tous les matins, il se rasait avec la même minutie qu’un galant qui va faire sa cour. Ses cheveux tout blancs étaient relevés en une houppe à la Papineau, parce qu’il avait toujours eu pour le grand homme une admiration sans bornes. C’est peut-être pour cette raison qu’il ne portait pas de barbe. Il avait de petits yeux gris bridés pleins de malice, un nez que n’eussent pas renié les Bourbons et une bouche large et mince. Sa voix semblait monter des cavités d’un tuyau d’orgue. L’été, il était invariablement vêtu de toile écrue et d’un large chapeau de paille en tuque. L’hiver, il ne portait pas autre chose que de l’étoffe du pays. Avec un tabac qu’il cultivait lui-même, il culottait quatre pipes par mois.

Peu communicatif il aimait cependant voir les autres s’amuser, et il n’écoutait pas sans plaisir les discussions auxquelles il lui arrivait d’assister. C’était l’homme le plus entêté que l’on connût, défaut que lui-même