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Page:Girard - Contes de chez nous, 1912.djvu/83

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Je soupe, et je suis à peine sorti de table, qu’un des pensionnaires de l’hôtel me dit, très poli, en se courbant très bas :

— Monsieur joue-t-il au bridge ?

Ah ! pourquoi la folie humaine, l’orgueil qui se tapit comme une méchante bête au fond d’un chacun de nous, nous poussant à croire que l’on sait tout, que l’on peut tout, me fit-il répondre à l’étourdie :

— Oui, un peu.

Mes lèvres avaient dit un peu, mais ces mots ne sont que trop souvent le synonyme déguisé de beaucoup. C’est ce que le quidam avait compris à l’intonation avec laquelle je les avais prononcés.

— Alors, dit-il, Monsieur nous ferait-il le plaisir et l’honneur de faire la partie avec nous ?

Grand Dieu ! pourquoi ai-je jamais fait cet aveu fatal ?…

Je jouai. Et, naturellement, comme, en face de moi, se trouvait une brune aux yeux vifs, qui avait conservé tous les charmes jeunes d’une fille vieille, et, à ma droite, une septuagénaire à l’air très respectable, je m’efforçai de bien faire les choses.

Il faut croire que je les fis si bien, qu’on me tint sur la sellette jusque sur le coup de minuit.

Le lendemain, madame et mademoiselle étaient pour moi tout sourire, et le monsieur très poli avait pour mon humble personne des égards à nuls autres pareils.

Et, lorsque je traversai le village, je crus surprendre des regards de curiosité mêlée d’attendrissement et d’admiration.