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Cette noblesse de sentiments, elle était innée en lui.

Son front en portait l’empreinte ineffaçable, comme une glorieuse devise sur l’écu d’un chevalier.

On avait pu le ravir à sa famille, mais ce qu’on n’avait pas été capable de lui enlever, c’était la noblesse de ses sentiments, la fierté de son caractère, et la bravoure qu’il tenait de ses aïeux comme un héritage inaliénable.

L’arbrisseau ployait la tête sous la violence de la tempête, mais il ne rompait pas. L’orage passé, il relevait vers le beau ciel ses jeunes feuilles pures chargées de pluie qui n’étaient que les larmes de sa souffrance d’enfant bourrassé par l’infortune.

Giovanni se rendait parfaitement compte qu’il ne pouvait demeurer davantage sous ce toit, ni manger le pain de ceux qui le comblaient de tant de prévenances et de bontés.

Johanne de Castelnay, il le soupçonnait fort, nourrissait pour lui des sentiments qui se rapprochaient plus de l’amour que de la simple charité ou de la pure amitié.

Et lui, par un des caprices mêmes de l’amour, ne pouvait, en dépit des charmes et de la beauté de la fille du baron de Castelnay, lui rendre ce sentiment qu’elle implorait dans le silence.

Pourquoi prolongerait-il alors cette situation fausse ?

Pourquoi, puisqu’il ne pouvait dire à Johanne que son cœur était pris tout entier, tarderait-il à faire ses adieux.

Maintenant qu’il était guéri, quel motif honorable prétexterait-il de partager la vie de famille de Johanne et de son père ?

Il s’en irait.

Il avait, il est vrai, sauvé la vie de Johanne, et c’est son dévouement qui l’avait conduit sous ce toit hospitalier. Mais tout homme d’honneur, pensait-il, placé dans des circonstances semblables, n’eût pas agi autrement.

Une chose qu’il ne pouvait laisser durer, cependant, c’était de tromper, même malgré lui, cette jeune fille qui, depuis qu’il avait été transporté sans connaissance dans cette maison, s’était montrée si bonne pour lui.

On ne joue pas impunément avec le cœur d’une femme. Les représailles sont parfois terribles.

Victime de la fatalité, Giovanni devait fuir devant les délices de l’amour qui se présentait à lui sous les formes les plus séduisantes.

Hélas, en fuyant Johanne, c’était Oroboa qu’il quittait pour toujours, peut-être. Mais l’honneur lui commandait de soumettre le devoir à l’amour.

Il ne balancerait pas.

Et plus il y songeait, plus il se confirmait dans sa résolution.

En demeurant davantage dans cette maison, il se rendait grandement coupable. Puisqu’il était remis de sa blessure, s’il ne partait pas c’est qu’il acceptait, d’un consentement tacite, les preuves d’affection de la fille du baron de Castelnay.

Soudain, il se leva avec décision.

Il parlerait ce matin même à monsieur de Castelnay. Il le remercierait de sa charmante hospitalité et le prierait de le laisser partir.

Peut-être ne reverrait-il jamais cette délicieuse et étrange créature, qui, un jour, avait frappé son imagination et son cœur avec tant de puissance, qu’il était resté insensible à l’éblouissante beauté de Johanne de Castelnay.

Trop tard.

Son cœur était plein du souvenir d’Oroboa.

Dès l’éclosion de son amour, amour immense s’il en fut jamais, il avait, dans son cœur, juré à l’Algonquine une fidélité que ni les faveurs, ni les épreuves ne devaient ébrécher.

Giovanni, quand il avait, ce matin-là, ouvert les yeux au soleil qui inondait sa chambre de ses flots d’or, avait découvert avec étonnement sur un fauteuil de damas vert, à la droite de son lit, un riche vêtement de velours noir tout broché d’argent, des bas de soie noire, des souliers à boucle d’argent, un tricorne orné d’une riche plume d’autruche blanche, du linge fin qui sentait l’orange, et une fine épée dont la garde était d’or.

Cette découverte surprit le jeune homme.

Croyant rêver, il se frotta les yeux et regarda de plus près.

Cette fois, il trouva un billet sur lequel étaient écrits ces mots :