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— Visage-pâle charmant, dit-elle, le Grand-Esprit ne sera plus avant que je cesse de t’aimer.

Adieu !…


VIII

L’ORGUEIL À GENOUX.

La tempête avait cessé mais le ciel était encore chargé de nuages gris et tristes qui fuyaient en se poussant les uns les autres comme un troupeau de moutons affolés. Il faisait un vent violent qui balayait en spirales les feuilles jaunissantes des premiers jours d’automne.

Giovanni, qui, depuis la veille, était rempli des plus sombres pressentiments, se leva avec la résolution bien arrêtée, cette fois, de quitter pour toujours ces lieux où il avait eu, cependant, quelques échappées de bonheur, comme les rares rayons de soleil qui percent un ciel froid et nuageux d’octobre.

Comme il sortait de sa chambre, il se trouva face à face avec le baron de Castelnay.

Après avoir souhaité le bonjour à ce dernier, il lui dit à brûle-pourpoint :

— Monsieur le baron, je vous suis infiniment obligé de toutes vos bontés à mon égard, et je vous prie de me laisser partir.

— Monsieur, répondit le baron de Castelnay, quoi que nous fassions pour vous, nous resterons toujours vos obligés.

Mais, dites-moi, pourquoi vouloir nous quitter si tôt. N’êtes-vous pas bien ici ?

— Si je suis bien ! il me semble qu’il y a toute une vie que je n’ai été l’objet d’une aussi chaude sympathie. Toutefois, monsieur le baron, permettez-moi, je vous prie, de ne pas vous donner la raison de mon départ. Et du reste, vous savez bien qu’il serait indigne d’un gentilhomme d’être plus longtemps à ne rien faire, à la charge d’un hôte trop bienveillant. Vous-même, placé dans les mêmes circonstances ne tiendriez pas une autre ligne de conduite.

— Mais, demanda M. de Castelnay avec sollicitude, qu’allez-vous faire en sortant d’ici ?

Giovanni allait répondre quand Johanne accourut vers son père en s’écriant :

— Mon père, Oroboa s’est enfuie !

Une même exclamation s’échappa des lèvres du baron de Castelnay et de Giovanni qui porta la main à son cœur :

— Partie !…

Tous trois se regardèrent sans mot dire.

Johanne, enfin, rompant ce silence gênant, dit, les yeux rivés sur ceux de Giovanni :

— Elle a dû se sauver, hier soir, car son lit n’est pas défait.

Et comme les deux hommes se taisaient, elle ajouta :

— Monsieur Giovanni, qui a eu hier soir, avec l’Algonquine, un long et mystérieux entretien, pourrait peut-être nous renseigner sur la destination d’Oroboa.

— Ma fille ! s’écria le baron, sur un ton de reproche.

Un éclair traversa les prunelles noires du jeune homme.

— Mademoiselle, dit-il d’une voix tremblante, quelle que soit la nature de la conversation que j’ai eue avec cette jeune fille, je vous donne ma parole d’honneur que j’ignorais son départ. Et cette parole que vous venez de prononcer prouve que je suis demeuré sous votre toit une journée de trop.

Adieu !…

Il était rentré dans sa chambre.

Giovanni était d’une fierté qui allait même, parfois, jusqu’à l’orgueil. Il ne voulait pas quitter ces lieux en laissant croire qu’on lui avait fait l’aumône.

Il enlève fébrilement le riche costume que lui avait donné son hôte. Il revêt sa défroque et ceint de nouveau sa vieille épée de fer à la garde modeste mais solide.

Un quart d’heure plus tard, Giovanni descendait vêtu de ses hauts de chausses de velours cramoisi, de sa chemise blanche en lambeaux, de ses bottes déformées, de son feutre aux larges bords effrangés, et de sa longue épée dont le fourreau laissait voir la pointe.

Comme il allait tourner la poignée de la porte donnant sur la rue Johanne lui barra le passage.

— Monsieur Giovanni, dit-elle, d’un ton suppliant et avec des larmes dans les yeux, pardonnez-moi mon étourderie de tout à l’heure…

— Oh ! mademoiselle, repartit Giovanni avec amertume, vous êtes tou-