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Des vêtements de femme sont bien gênants dans des excursions pareilles.

Et pourquoi ne se déguiserait-elle pas en homme ? Mais où trouver ce déguisement ?

Soudain, elle s’élance en courant vers la chambre qu’avait occupée Giovanni.

Ce dernier était grand et svelte. Le costume qu’il avait refusé d’apporter avec lui, elle le revêtirait.

Elle n’avait plus qu’à se hâter pour n’être pas découverte par son père. Si le baron de Castelnay s’était toujours rendu aux désirs parfois fantaisistes de sa fille, il serait inébranlable aujourd’hui, et ne laisserait jamais partir Johanne pour une expédition aussi périlleuse.

Ah ! quelle ne fut pas son émotion en retrouvant ces vêtements dans lesquels son Giovanni avait paru si charmant. Cette vue ne fit qu’aiguillonner son impatience de rejoindre le fugitif.

En toute hâte, elle agrafa de ses mains inexpérimentées le pourpoint de velours noir, enfouit ses jambes gracieuses dans des bottes un peu trop grandes pour elle, il est vrai, boucla le baudrier qui retenait l’épée à la garde ciselée et cacha sa merveilleuse tête blonde avec le feutre noir à grande plume blanche.

Il eût fallu que le cœur de Giovanni fût pris entièrement par l’Algonquine pour n’être pas subjugué par ce magnifique et séduisant seigneur de la Nouvelle-France qui s’appelait Johanne de Castelnay.

Redoutant d’être surprise par son père, elle attend son départ avec le capitaine Lafond.

Elle entend une porte que l’on ouvre et que l’on ferme ; elle court à la fenêtre, aperçoit les deux hommes qui se dirigent vers le palais de l’Intendant.

Vite ! pas un moment à perdre.

Pour rien au monde, son père ne doit la rencontrer dans les rues de Québec. Dans sa fuite, heureusement, elle tournera le dos au Palais.

Elle pénètre dans la chambre du baron de Castelnay, se choisit un pistolet d’arçon qu’elle examine en connaisseur, s’empare de munitions, et sort de la maison d’un pas rapide.

Elle court à l’écurie. De ses mains fines et blanches qu’on n’aurait cru bonnes qu’à broder ou égrener des chapelets d’or, elle selle rapidement le coursier aux jambes nerveuses, et s’enlevant sur les étriers d’un bond léger, elle disparaît à bride abattue sur la route de Sillery, soulevant sur son passage un nuage de poussière.


XI

UNE MINUTE TROP TARD

Les soldats du comte d’Yville descendirent sur le rivage où les attendaient trois de ces longs et larges canots qui, en dépit de leurs vastes proportions, glissaient comme des flèches sur l’eau, même contre les vents et les marées.

Quinze minutes plus tard, les rapides embarcations, après avoir décrit une ligne courbe, atterrissaient à la mission de Saint-Joseph-de-Sillery. Le commandant de l’expédition avait donné ordre d’arrêter en cet endroit pour demander du renfort des Hurons, alliés inséparables des Français.

Le jour baissait et le message du comte de Frontenac ne souffrait pas de retard. On ne mit même pas pied à terre.

Seul, le comte d’Yville monta jusqu’à la mission. Cinq minutes plus tard, il redescendait en compagnie de dix Hurons, jeunes, nerveux, bien découplés, portant à leurs bras ou à leurs ceintures des javelots, des tomahawks, des flèches, des épées.

À peine leurs fières silhouettes se furent-elles détachées de la masse sombre des bois qu’une immense acclamation se répercuta sur les flots.

Les nouveaux venus répondirent à cette acclamation par une autre semblable, et prirent place dans les canots sans perdre de temps.

On se remit à nager avec ardeur, les Indiens plongeant les avirons en cadence, et tenant leurs canots à peu de distance les uns des autres.

Le disque pourpre du soleil fantastiquement échancré par la ligne capricieuse des têtes des pins gigantesques, à l’horizon, là-bas, projetait en reflets brisés, sur le fleuve-roi, la lueur de ses feux mourants.