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Rédemption.


SUR LA GRÈVE.


Réginald avait cédé à la prière de Romaine : il n’était pas parti. Tous les jours, il avait continué de la voir, en prenant garde toutefois de ne jamais se trouver seul avec elle. De préférence, il recherchait la compagnie du grand-père : de cette façon, s’il ne la voyait pas aussi longtemps, et ne l’avait pas à lui seul, un moindre péril le menaçait en demeurant à Paspébiac.

Sa passion grandissait de plus en plus. Pour avoir moins d’occasions de tomber aujourd’hui, il se croyait plus fort, assez fort même pour conjurer tout danger. Un bandeau sur les yeux, aveuglé par l’amour et la présomption, il poursuivait son ascension vers cette cime coupée d’un gouffre.

Johnnv Castilloux et Jérôme Roussy avaient maintenant en lui un compagnon de pêche assidu. Quelquefois même, il suppléait à l’un ou à l’autre. Il s’acquittait si bien de sa tâche, que le vieux Castilloux avait déclaré en riant que n’eût été sa crainte de faire tort à l’oncle Jérôme, il l’eût promu du poste de pocheur à celui d’avant-barge. Ce citadin élégant faisait son rude apprentissage de la mer et de la pêche à la morue.

Le soleil de la mer avait hâlé son teint, ses muscles s’endurcissaient, ses mains étaient devenues rugueuses.

Les pêcheurs ne font guère d’études d’astronomie ni de marine, la plupart ne savent pas lire.

On est étonné, toutefois, de leurs connaissances, à les entendre pronostiquer sur la température ou à les voir conduire avec une habileté consommée leurs barges, lorsque la mer semble défier le ciel par ses montagnes écumantes et rageuses dressées contre lui.