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Rédemption.

pincé, les joues creuses ; les yeux cernés avaient l’éclat brillant de la fièvre.

Il avait, ce soir-là, conduit Claire à l’Académie de Musique. Pour accentuer le mépris qu’il avait de l’opinion du monde, pour jeter un défi à toutes ces langues roses chargées de venin, il avait retenu pour son amie et pour lui une loge entière.

Claire portait une simple robe montante en voile blanc, ce que voyant, mademoiselle Blais remarqua méchamment à son amie mademoiselle Béchet :

La Claire Dumont n’est pas heureuse avec sa nouvelle acquisition. Regardez-donc, ma chère, elle ne peut seulement pas se procurer une toilette de théâtre.

Mademoiselle Caroline Biais était une de ces personnes qui n’ayant pas de valeur personnelle se trémoussent pour se donner de l’importance. Elle avait la démangeaison du grand monde, et comme elle ne pouvait être acceptée par celui-ci, elle tentait de s’y cramponner tant bien que mal, plutôt mal que bien.

Son père recevait des appointements de quinze cent dollars par année, mais il avait une femme et deux filles. Qu’on imagine une jeune personne, petite, anguleuse, foncée comme une puce ; les yeux ni bruns ni jaunes ; le nez ni droit ni aquilin, ni retroussé, ni rond, ni pointu, un nez quelconque, sans caractère ; la bouche grande, spacieuse, où la langue se meut à l’aise ; eu résumé tut de ces visages insignifiants avec cet air qu’on ne peut définir et que l’on trouve irritant, parce que derrière ce masque de papier mâché, on devine la suffisance et la sécheresse du cœur. Il est certaines femmes mal ciselées à qui l’on pardonnerait beaucoup si elles possédaient la vertu ou seulement le talent de se taire.

Quand la langue de ces sortes de femmes sans esprit est en mouvement, il ne reste qu’une chose à faire : se tenir à dis-