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Rédemption.

ricordieux pour lui procurer ce bonheur. Oui ! allait-elle crier, je ne suis pas digne de cette félicité, mais je vous aimerai tant, je vous serai si dévouée, si bonne, que je vous ferai oublier mon indignité.

Vous ne répondez pas ? demanda Réginald avec anxiété !

Claire se taisait. C’est qu’une lutte formidable se livrait en son âme, entre son amour et le sacrifice de son bonheur.

Enfin, elle dit lentement, péniblement, comme si chaque mot lui emportait un lambeau de son pauvre cœur meurtri :

— C’est impossible, je ne puis être votre femme.

Elle ajouta :

— Qui suis-je, moi, pour m’élever jusqu’à vous ? Une fille dont le nom a été traîné dans la boue, dont la réputation a été foulée aux pieds. Moi votre femme ! plutôt mourir.

— Claire, qui suis-je moi-même : un misérable qui ne mérite aucune pitié. Écoutez-moi Claire. Il y a quelques mois, loin d’ici, j’ai aimé une jeune fille, pure, belle et bonne. Cette jeune fille, elle aussi, m’a aimé, beaucoup aimé. Et c’est à cause de cet amour même qu’elle est morte. C’est parce qu’elle a pressenti que je ne devais jamais l’épouser et qu’elle succomberait à la violence de sa passion, qu’elle a sacrifié sa vie ; c’est parce que j’ai eu la lâcheté de me laisser enivrer par cet amour parfumé de candeur et de beauté, alors que j’en connaissais tout le danger, qu’elle a péri dans toute l’auréole de sa jeunesse. S'il y a les martyrs de la foi et du dévouement, l’amour a aussi ses martyrs. La jeune fille dont je vous parle a été une de ces héroïnes sacrées : elle a, uniquement à cause de moi, parce qu’elle m’aimait trop, immolé sa vie sur ce bûcher de l’amour.

Parfois, je suis pris d’un désir violent de crier mon crime à tout ce monde qui me connaît autrement que je suis.

Ce souvenir m’épouvante à un tel point qu’il m’arrive quelquefois de me demander si sa mort n’est pas due à un accident plutôt qu’à une détermination de sa volonté