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Rédemption.

— Bonjour, vous travaillez dur.

— Oué, la sacrée vieille ! a nous a donné d’la misère tout l’hiver. Pourquoi qu’a mourait pas l’automne passé. Ça fait deux haches que j’casse.

— De quelle vieille parlez-vous donc ?

— D’la mère qu’a défuntisé hier, et qu’on va enterrer demain.

En entendant ce blasphème, le jeune homme poursuivit sa route sans répondre.

À quelques arpents plus loin, il voyait la maisonnette du pêcheur, et la barrière entre les deux cormiers où Romaine l’avait si souvent attendu.

Qui pourra jamais décrire convenablement cette impression empoignante que ressent l’homme lorsqu’il revoit des lieux chers quittés dans des circonstances heureuses ou malheureuses ?

Oh ! cette émotion qui fait que tout prend vie, que jusqu’à la pierre la plus vile du chemin s’anime de toutes les souffrances de l’absence et de toutes les joies du retour !

C’est là qu’elle se tenait, pensait-il, la première fois que je suis passé sur cette route ; là dans sa robe blanche, plus blanche encore sous la rayonnement de ses tresses d’or rouge. C’est sur cette galerie qu’elle m’a bercé de la mélodie de sa voix en m’ouvrant ce cœur si généreux, si grand. C’est là qu’elle m’a fait le plus heureux des hommes, en me répétant chaque fois, sous une forme nouvelle, avec toute l’extase du premier aveu, qu’elle m’aimait, qu’elle m’adorait, que j’étais tout pour elle.

C’est à cette barrière qu’elle m’a accueilli si souvent de son sourire troublant, que chaque fois que je la quittais, ne fut ce que pour une heure, elle me disait avec cet accent enivrant qui me rendait fou : « Au revoir, ami, que les heures sont longues lorsque vous êtes loin de moi ! »