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Rédemption.

gner. Pareil que je lui ai souvent dit que ça pourrait ben lui porter malheur.

— Et si je tombais à l’eau, répondit Romaine en souriant, ne sais-je pas nager ?

— C’est ceusses-là qui savent le mieux nager qui piquent au fond le plus vite, répondit le grand-père avec humeur. Tandis que moé, qui peux pas faire deux brasses à la nage, j’ai manqué pas moins d’une dizaine de fois de m’noyer. L’automne dernière encore, v’la-t’y pas que j’chavire à huit brasses du plain, mon flat la gueule en l’air. Eh ben, monsieu, vous m’crérez si vous voulez, j’sus resté là grippé après le marain de mon flat, jusqu’à ce que ma petite-fille oué, oué, ma petite-fille, la chère enfant, qui passait par hasard su’le plain, est venue m’remorquer.

— Et si je me noyais, interrompit Romaine, ne serait-ce pas là une plus belle fin pour une fille de pêcheur, que de mourir dans mon lit comme une vieille femme ?

— Taise-toé, commanda Johnny Castilloux, en réprimant un frisson.

Celui-ci, maintenant, coupait les harengs en morceaux, et Jérôme Roussy les accrochait aux hameçons qu’ils appellent crocs.

Réginald, assis sur le petit baril d’eau douce, écoutait Romaine, suspendu à ses lèvres. La jeune fille ne parlait pas, elle chantait, ses paroles étant modulées par le vent de la mer en des notes d’une harmonie suave.

Elle avait dix-sept ans. Sa mère, Salomé Anglehart, était morte lorsque Romaine venait à peine d’être sevrée. David Castilloux, son père, se trouvait parmi ceux qu’une bourrasque avait englouti sur les côtes de Percé. Dix-neuf barques avaient chaviré d’un seul coup. Il y aurait de cela douze ans, le lendemain de la Trinité. Son grand-père et le bon vieux curé de Paspébiac, l’abbé Doucet, l’avaient élevée. Ah !il faudra qu’il le connaisse, ce curé, un savant, aussi