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Rédemption.

mentée pour sentir le happement du poisson à une profondeur de quatre-vingt-dix pieds dans la mer.

Tout de même, ajouta-t-il, ça doit être pénible parfois la vie de pêcheur.

Johnny Castilloux, qui venait de déprendre deux autres morues en les lançant d’un coup sec dans la cale de la barge, répondit :

— Ah oué, j’vous cré, l’monsieu. À part des jours de dégras, où y a rien à faire à cause du vent qui nous empêche d’élonger nos filets le soir pour le poisson, ou ben quand la boëtte a pas mordu, on n’arrache des fois. Quand la mer est planche et qu’y fait pas fret, ça va, mais j’ai vu des fois, au mois de novembre, pas pouvoir tendre les filets le soir, à cause du fret. Le jour, la mer, à cette saison là boucane de fret et la morue gèle raide en arrivant dans la barge. Avec ça que l’vent peut nous chavirer tout d’une pièce, et que l’eau embarque par paquets dans nos barges, qui dansent comme si a étaient pleines de caribou. Avec ça que l’fret nous crevasse les mains et que l’eau salée nous les bride comme de la squid.

Ah ! c’est une chienne de vie, mais on s’y fait après tout, le monsieu. Et pis, voyez-vous ben, faut ben vivre comme tout le monde nous aut’, quoique ça nous rapporte pas gros.

— Faites-vous de bonnes pêches, ordinairement ?

— C’est selon qu’on s’adonne. Les bonnes pêches sont de six à douze draughts, mais des fois on rapporte pas plus qu’une draught et demie, deux draughts.

Le jeune homme, prenant son rôle au sérieux, pêchait dru. Il avait déjà pris huit ou neuf morues. Chaque fois qu’il remontait sa palancie, l’eau dégouttant de la ligne imbibait son pantalon. Il paraissait ne pas s’en apercevoir, ce qui fit dire à l’oncle Jérôme.

— Le monsieu s’est foutu de ses culottes blanches.

— Avez-vous froid, monsieur Olivier ? demanda Romaine avec une délicieuse sollicitude.