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Rédemption.

coupe souvent. I est bon qu’à une chose et ça vaut pas la peine pour nous qu’on l’en occupe : son dos séché fait un bon papier sablé.

Mais est-ce que la chair du chien de nier n’est pas mangeable ? J’ai entendu dire que la chair de ce poisson est aussi bonne que celle du flétan.

— Parlez m’en pas, le monsieu ; jamais un créquien pourra s’mettre c’t’e maudite viande-là dans la bouche. Si l’gouvernement voulait nous donner une prime pour chaque chien de mer qu’on détruirait, ça nous serait d’une grande aide : d’abord, ça nous rapporterait quelques schellings de plus, et pis ça purgerait la mer de ces saloperies-là.

— Vous avez donc beaucoup de hameçons à cette ligne de fond ?

— De quoé ?

— Monsieur Olivier trouve, grand-père que vous avez beaucoup de crocs à votre traul, interpréta Romaine.

— On en a ainque quat’ cents environ, nous aut’, répondit-il, mais y a des pêcheurs qui en ont jusqu’à le redouble.

Les deux pêcheurs avaient fini de lever leur ligne de fond. Ils remontèrent l’ancre retenue par une forte chaîne eu fer. Comme il faisait un vent propice venant du large, il plantèrent leurs mâtereaux et tendirent toutes les voiles.

Romaine prit la barre, son grand-père s’empara des cordages de la voilure pour se garer du vent en tournant, et la barge, décrivant un hémicycle parfait, fila sous le vent, le nez sur le phare qui, là-bas, embrasé sous les feux du soleil à son zénith, ressemblait à un iceberg étincelant sur l’émeraude de la mer.