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constance pour déployer quelque toilette excessive et prétentieuse, achetée d’occasion. Cette pauvre robe de mousseline qui n’a jamais vu l’Inde, et qu’elle a probablement faite elle-même, m’a touché et séduit ; je ne tiens pas à la parure. J’ai eu pour maîtresse une gitana grenadine qui n’avait pour tout vêtement que des pantoufles bleues et un collier de grains d’ambre ; mais rien ne me contrarie comme un fourreau mal taillé et d’une couleur hostile.

Les dandies bourgeois préférant de beaucoup à la jeune et frêle pensionnaire de madame Taverneau de puissantes commères au teint rubicond, au col court cerclé de chaînes d’or à plusieurs rangs, j’eus la liberté de causer avec elle à travers les romances de Loïsa Puget et les sonates exécutées par les prodiges en bas âge sur un piano fêlé loué à Rouen tout exprès.

Quel charmant esprit que celui de Louise, et quel tort on a de donner aux femmes l’éducation qui leur ôte l’instinct ! Remplacer Dieu par une maîtresse de pension ! — Elle ne sait rien et devine tout ; son langage est pur ; elle ne commet pas de ces fautes grossières qui rebutent, mais on voit qu’elle fait ses phrases elle-même, et ne vous récite pas des formules apprises par cœur. — Elle n’a pas lu de romans, ou elle les a oubliés ; la nature, si elle n’avait pas résolu de garder son secret, ne s’exprimerait pas autrement. Nous sommes restés ensemble dans un coin, comme deux êtres de la même race, une grande partie de la soirée. Profitant d’un de ces moments de grosse joie causée par un de ces jeux dits innocents où l’on s’embrasse beaucoup, la belle enfant, qui craignait sans doute pour sa joue délicate le contact de quelque hure ou de quelque rostre, m’a mené dans sa chambre, qui est contiguë au salon et donne sur le jardin par une porte vitrée.

Sur la table de cette chambre, vaguement éclairée par